Propos recueillis par Fanny Bauguil (professeure relai à VIDEOFORMES)
- Comment décririez-vous cette installation ? Que voit-t-on ? Qu’entend-t-on ? Qu’y fait-t-on ?
Sabia-VR est une adaptation scénographique en réalité virtuelle de la pièce éponyme du compositeur Juan Arroyo. L’installation est composée de plusieurs éléments scénographiques. Un casque de réalité virtuelle permet d’accéder à l’environnement simulé. Celui-ci nous plonge dans un décor représentant une crique montagneuse limitée par des bâtiments industriels abandonnés. Le spectateur est amené à se déplacer librement dans ce décor. Au début de l’œuvre le lieu est plongé dans la pénombre, puis il se dévoile graduellement en mettant en lumière les quatre interprètes de la pièce musicale : Benoît Poly à la percussion, Hilomi Sakagushi au piano, Sylvain Millepied à la flûte traversière, Marie-Bernadette Charrier au saxophone, Christophe Havel pour l’interprétation des sources électroniques. Comme dans un jeu vidéo, le déplacement du spectateur au sein du décor simulé permet une spatialisation en temps réel des sources sonores. Ce mixage dynamique est diffusé dans l’espace de l’installation. En ce qui concerne le point de vue individuel du regardeur-auditeur, celui-ci est diffusé simultanément dans un caisson vidéo en bois, posé sur une table, elle aussi en bois et de facture assez ordinaire. Ce choix scénographique, jouant sur une certaine familiarité des supports de diffusion, permet à l’image simulée d’acquérir une matérialité proche de la scène miniature, ou du diorama.
- Est-ce la première fois que cette installation est présentée au public ? Pouvez-vous nous parler un peu du processus d’élaboration de l’œuvre pour en arriver à ce résultat ?
Non. La pièce a été présentée à plusieurs reprises, sous diverses versions : prototypes, pièce finalisée. L’œuvre fait suite à une commande réalisée par l’ensemble de musique électroacoustique Proxima Centuri, basé à Bordeaux. L’association Proxima Centuri est également à l’origine de la production de l’œuvre musicale de Juan Arroyo, dans sa version scénique, en 2019. L’équipe m’a contacté pour réaliser son adaptation en réalité virtuelle en me demandant de travailler, de manière assez libre, sur sa scénographie. La collaboration s’est faite très naturellement, ayant déjà eu l’occasion de travailler avec l’équipe lors de la réalisation de deux autres projets immersifs (Il Canto dei Suicidi, 2021 ; Analog, 2022).
- Quels sont les artistes (tous domaines confondus) ou plus généralement, les formes artistiques qui nourrissent votre démarche de création, et éventuellement, les références auxquelles vous faites allusion dans cette installation ?
Mes inspirations sont multiples, allant de la production cinématographique et vidéographique (Jan Svankmajer, Alejandro Jodorowski, Martin Arnold, Daniele Ciprì et Franco Maresco, Gary Hill, etc.), en passant par la production graphique (Dado, Topor, Crumb, etc.), jusqu’à certaines réalisations numériques contemporaines (Bill Seaman, Granular Synthesis, Boris Labbé, etc.). La musique et la création sonore dans son ensemble jouent également un rôle très important dans mon processus de création. En ce qui concerne sa facture formelle, l’univers mis en scène dans Sabia-VR s’inspire en partie de pratiques populaires reposant sur le principe de miniaturisation, tel le diorama et la miniature votive. L’espace a été pensé comme une maquette, au sens théâtral du terme. Son aspect relève, d’une certaine manière, des mêmes caractéristiques esthétiques et phénoménologiques propres aux miniatures baroques de l’Italie méridionale. Je pense, par exemple, au fameux « effet rocaille », consistant en l’assemblage de fausses pierres préfabriqués en vue de la production de concavités montagneuses (technique utilisée par de nombreux miniaturistes tels que Caterina de Julianis et Gaetano Giulio Zumbo). Un effet provoquant une sorte de phénomène d’immersion virtuelle avant l’heure. Les instrumentistes eux-mêmes sont traités d’une manière tout à fait singulière, par la suppression de leur tridimensionnalité : les silhouettes sont comme découpées dans du papier et disposées à leurs emplacements respectifs comme des images d’Epinal, des vignettes posées sur leurs supports en trois dimensions. En découle un étrange effet de maquette grandeur nature, dont l’artificialité est volontairement soulignée. Cela renforce, de manière paradoxale, sa nature scénique et performative.
- Quelles sont les difficultés, les contraintes, les défis à relever… rencontrés lors de son élaboration ?
De manière assez inattendue, les étapes de réalisation de l’œuvre se sont déroulées avec peu d’entraves, et de manières assez naturelle. Les problématiques techniques ont été rapidement individualisées, découlant, pour chacune d’entre-elles, sur des solutions adaptées. Cela n’est pas toujours le cas, bien au contraire. En effet, ce type de projet, qui repose essentiellement sur l’intégration de sources multiples (vidéos filmées, médias sonores, composantes simulées) et la prise en compte du comportement du spectateur, entraîne le plus souvent de nombreux obstacles techniques et logistiques (adaptation des sources, intégration de ces dernières dans les logiciels de traitement, exportation du projet, intégration des comportements du spectateur au sein de la dramaturgie, etc.). Au-delà d’aspects propres à la production du contenu visuel et sonore de la pièce, il est pourtant possible de relever une certaine difficulté concernant plus spécifiquement sa mise en espace. En effet, l’un des défis majeurs dans la conception et la diffusion d’œuvres en réalité virtuelle, habituellement visionnés à travers des casques qui leur sont dédiés, c’est celui de sortir ce simple cadre de diffusion, assez contraignant. Afin de contourner ce mode de présentation, le plus souvent déceptif dans le cadre d’un événement public, nous avons choisi de diffuser simultanément le point de vue du regardeur-auditeur, appareillé par le casque VR, au sein d’un caisson vidéo en bois, posé à son tour sur une table également en bois. Grâce à cela, l’image, ainsi que la composition sonore, peuvent être perçus par les spectateurs non munis d’un casque VR. La sensation de familiarité qui émane de la facture particulière du décor, qui renvoie par certains aspects à une certaine idée d’espace intérieur et ordinaire, permet l’inclusion des spectateurs extérieurs au sein de la dramaturgie propre à l’œuvre.
- Pouvez-vous nous indiquer une ou plusieurs adresses internet où l’on peut voir votre travail ?
https://www.vincentciciliato.net
https://www.instagram.com/vincentciciliato/
- Quelques mots-clés qui s’accommoderaient bien à votre installation ?
Réalité virtuelle, maquette, interprétation musicale, électroacoustique, anthropocène, interactivité, jeu vidéo
- Quelques mots sur votre parcours artistique ? A quelle période de votre vie vous êtes-vous interessé-e à l’art numérique ? Arrivez-vous à vivre de votre activité créatrice ?
Depuis le milieu des années 2000 j’œuvre principalement dans le domaine de l’installation multimédia. Cet intérêt pour les technologies numériques, sonores et visuelles, remonte à mon enfance lors de ma découverte d’anciens environnements de programmation – et surtout de jeu – tels que le Commodore 64. Néanmoins, j’investis actuellement, cela de manière de plus en plus affirmée, la pratique du dessin, qui tend par la même occasion à contaminer l’ensemble de l’univers formel de mes productions.
Ma formation repose principalement sur un cursus de type universitaire, ponctué par l’intégration de divers programmes pédagogiques et de recherche spécialisés tels que le post-diplôme ARI (Atelier de Recherche Interactive) de l’Ecole Nationale Supérieur des Arts Décoratifs de Paris, en 2005 ; ainsi que le Fresnoy – Studio national des arts contemporains, en 2010-12. Une large partie de mon travail porte sur l’élaboration d’espaces fictionnels et allégoriques interrogeant la mise en tension entre composantes scéniques et corporéités. La simplicité des gestes, des actions et des lieux convoqués dans mes créations, ainsi que l’utilisation quasi-systématique du plan fixe – qui rapprochent les images produites de la permanence picturale ou photographique – sont autant de prétextes pour interroger la nature et l’instabilité du corps contemporain et de sa figuration par l’exploration de certains de ses leitmotivs plastiques : bouclages gestuels, fragmentation, hybridations, micro-temporalités. Ces attributs sont investis, le plus souvent, à travers l’utilisation des technologies numériques que j’approche en tant qu’outils d’investigation phénoménologiques.
Depuis 2013, j’occupe également un poste d’enseignant-chercheur au sein du département d’Arts plastiques de l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne, en tant qu’enseignant en Arts Numériques. Par chance, cette activité principale me laisse une certaine liberté financière dans l’élaboration de mes projets artistiques.